C I N Q U I È M E M E N T .


     V. J'AVOIS un jour de ma jeunesse visité le monastère où prie, chaque jour que Dieu fait, le Père Dom Viallos, dans l'Evêchez d'Auch. J'avoue que la première visite m'avoit fort impressionné car j'y avois vu en un instant ce qui m'est le plus cher en ce monde, sçavoir l'Amour, la Joie, l'Humour, en un mot, la Vie. Le père prieur finissoit alors les travaux qu'avoit commencé Alain La Lumière, rappelé à Dieu dans la force de l'âge quelques mois plus tôt. J'ai pour ce facteur (que je n'ai jamais connu de visu) une admiration sans borne. Il est déplorable que l'on ne connoîsse que peu ses Orgues tant dans le royaume de France qu'à l'étranger, particulièrement celui de Terraube en Gascogne (qui est son chef-d'oeuvre), car il a ouvert comme d'aucuns une voie d'entendement des instruments qu'ont construit nos Pères, voie, dis-je, que peu ont suivi.

Ce n'est que quelques années plus tard que j'ai pu rejoindre le monastère de Dom Viallos. C'est probablement la période de ma vie la plus heureuse que Dieu m'ait offert à ce jour. Le travail du monastère amenoit à rencontrer tant moines que moniales & j'ai passé plus d'une année à faire uniquement de la restauration de tuyaux d'Orgues anciennes pour lesquelles je porte, aujourd'hui encore, une affection particulière. Il raignoit en cette boutique une athmosphère de ruche que je n'ai retrouvé nulle-part ailleurs. Plus que toute autre chose, je n'ai jamais connu de lieu où se trouve dans cette proportion autant de gens interressés par leur travail et oeuvrant ensemble pour une même cause. Peut-être est-ce pour cette même raison que cela n'a pas duré ; sans doute les passions, quand elles ne sont point canalisées ou maitrisées ne peuvent longtemps cohabiter. Mais ce fut pour moy un temps heureux & plus que tout autres, je ne puis l'oublier.


 

S I X I È M E M E N T .


     VI. UN ami du Père Dom Viallos, Denis de l'Ondoyement, devoit construire en ce temps là l'Orgue de l'église Saint Louis de Saint Étienne. Pour cela, il envisagea de faire un voyage d'étude en Allemagne & prit le parti d'en faire profiter Dom Viallos ainsi que ses ouvriers. J'étois donc de la fine équipe & nous fîmes un voyage qui fut pour moy des plus déterminants. Je ne connoissois seulement de la Saxe, que c'étoit la patrie du grand facteur Gottfried Silbermann. Je fus très impressionné par tout ce que j'y vis, tant pour les gens que pour les Orgues qui étoient si différentes de celles que j'avois pu voir jusqu'alors. Je conçüe alors l'idée de faire plus ample connoîssance avec ce peuple qui me fascinoit. J'écrivis une lettre de demande d'embauche dans la boutique de Cristian de la Route-Coupée, qu'une moniale allemande qui travailloit au monastère de Dom Viallos eut la grâce de bien vouloir me traduire & sept mois plus tard, je reçus la réponse qui étoit positive.

Je partis donc dans ces froides contrées allemandes, le coeur (comme toujours) rempli d'espoir. Je n'entendois pas plus la langue allemande qu'un muet sourd, mais je sus vite l'apprendre car c'est là ma nature. Pour la première fois de mon existence, je pris conscience de ma différence de facteur. En effet, nous portons, en France, une attention particulière au timbre & à la couleur du son. Ce n'est point le cas passé le Rhin où la seule chose qui soit jugée vraiment d'importance réside dans la force que se doivent avoir les tuyaux pour soutenir l'Assemblée. Il ne faut point douter que la tendance actuelle qui sévit sur nos contrées latines ne soit d'ailleurs autrement que de ce goût ; mais je reste persuadé qu'il s'agit là de ces modes que d'aucuns font vivre comme pour mieux asseoir leur incompétence. En Allemagne, j'ai travaillé plus particulièrement à la restauration de l'Orgue de Markneukirchen, au sud de la Saxe, qui est un instrument construit en l'an I848 de notre Seigneur par Schultze, un élève du maître J.G. Töpfer. Je n'aurais eu pour cet instrument aucune accointance particulière si l'Orgue de Saint Hippolyte de la Planquette, mon village natal, n'avoit été construit cinq ans plus tard par Voegeli, lui aussi élève de Töpfer. Ainsi sont les hazards de la vie ; parti loin de mon pays, je retrouvois (& comprenois) ce qui avoit été pour moy comme une énigme à mon entendement & je dois dire que j'ai appris sur cette facture (pour laquelle je n'avois à priori aucune affection) plus que je ne l'aurois imaginé avant de ne l'avoir pratiquée par deux fois.

Je découvris aussi Dresde qui est une ville qui a beaucoup souffert au sortir de la dernière grande guerre qu'a connu ce siècle. J'ai pour cette ville & pour les gens qui la peuple, une attirance mêlée à de la répulsion. Tout, à Dresde, est plus violent qu'ailleurs. L'Amour & la Haine cohabitent là bas comme je ne l'ai jamais vu nulle part & je dois reconnoître que ce mélange, sans cesse exalté par les Saxons, m'a toujours rempli d'étonnement. Je ne sçais si la vie me reconduira en Saxe, mais je garde pour ce pays un sentiment d'affection et de compassion pour la souffrance qu'il a vécu comme d'aucuns ne peuvent, je crois, comprendre.


 

S E P T I È M E M E N T .


     VII. VOILÀ bien des années que je suis revenu dans mes Cévennes natales & j'avoue que si je ne me lasse pas de contempler les couchers de Soleils (qui sont pour mon coeur comme l'attention d'une mère), je suis pourtant aujourd'hui désireux de repartir à la conquête du monde que je sçais grand & passionnant tant dans l'enseignement qu'il nous donne que pour les joies & les peines qu'il nous apporte. C'est la raison principale qui m'a fait écrire ce petit traicté qui ce trouve comme un petit abrégé de ma vie. Je ne sçais, par contre, si les facteurs d'Orgues y pourront voir l'intérêt de m'embaucher ; toujours est-il qu'après l'avoir lu, leur entendement de ma nature ne pourra que leur être plus clair & qu'ils sçauront à quoi s'en tenir. Il en va de même de mon côté ; car si, par ce traicté, je leur apparaissoît comme une personne qu'ils ne puissent fréquenter, il ne faut point douter que cela soit réciproque.

Ainsi vont les relations humaines ; comme les tuyaux d'Orgues dans leur accord, certains sonnent mieux dans des partitions plutôt que dans d'autres. Si la mienne est inégale, j'affirme qu'il ne faut point douter que tant mes Quintes que mes Tierces sont des plus justes car il est un jour où j'ai pris la décision d'entretenir avec soin mon tempérament. Seul importe avec moy de ne pas jouer le Loup.



F I N





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